Quarante-deux

Minuit. Pourquoi avait-elle l’impression que c’était la bonne heure ? Peut-être parce que Pierce et Clancy étaient restés si tard et qu’elle avait eu besoin ensuite d’une heure de tranquillité. Il n’était que 10 heures en Californie mais Michael avait déjà appelé, exténué par son long voyage. Il devait dormir maintenant.

Il avait eu l’air ravi que tout là-bas lui paraisse sans intérêt et il avait hâte de rentrer. Il lui manquait déjà. Comme elle se sentait seule dans ce grand lit vide !

Mais l’autre l’attendait.

Lorsque le dernier coup de minuit sonna, elle se leva, enfila son peignoir de soie et ses pantoufles de satin et descendit.

Et où allons-nous nous rencontrer, mon amant démoniaque ?

Dans le salon, devant les énormes miroirs, les rideaux tirés ? C’était sans doute le meilleur endroit.

Elle traversa le plancher en pin puis le tapis chinois jusqu’à la première cheminée. Les cigarettes de Michael sur la table. Un verre de bière à demi plein. Les cendres du feu qu’elle avait allumé un peu plus tôt, par cette première nuit froide dans le Sud.

On était le 1er décembre. Le bébé avait maintenant ses paupières et ses oreilles commençaient à se former. « Pas de problème du tout, avait dit le gynécologue. Des parents en parfaite santé, aucune maladie et une mère dans une condition excellente. Mangez correctement et, au fait, qu’est-ce que vous faites dans la vie ? »

Aujourd’hui, elle avait entendu Michael parler avec Aaron au téléphone. « Tout va bien. Curieusement. Rien à signaler à part la vision de Stella pendant la réception de mariage. Mais c’était peut-être un tour de mon imagination. J’avais bu pas mal de Champagne. (Pause.) Non, rien du tout. »

Aaron savait reconnaître les mensonges, n’est-ce pas ? Il savait. Mais le problème avec ces pouvoirs paranormaux, c’est qu’on ne sait jamais quand ils marchent. En général, ils font défaut quand on en a le plus besoin. Après tous les flashes sans queue ni tête qu’il avait vus, et les pensées déchiffrées malgré lui dans les esprits des autres, le monde était soudain rempli de visages de bois et de voix atones.

Aaron était peut-être seul. Il n’avait rien trouvé d’intéressant dans les cahiers de Julien. Rien non plus dans les registres de la bibliothèque, à part les comptes de la plantation. Et rien dans les grimoires et les livres de démonologie réunis au fil des années, à l’exception d’ouvrages sur la sorcellerie qu’on pouvait se procurer n’importe où.

La rénovation de la maison était achevée. Il n’y avait plus un coin sombre. La chambre de Julien avait été transformée en bureau pour Michael, avec une table à dessin, des rangements pour ses plans et des rayonnages pour ses nombreux livres.

Rowan était debout au centre du tapis chinois, face à la cheminée. Elle pencha la tête, joignit ses mains et pressa ses doigts contre ses lèvres. Qu’attendait-elle ? Pourquoi ne disait-elle pas : « Lasher » ?

Lentement, elle leva les yeux et regarda dans le miroir au-dessus de la cheminée.

Derrière elle, dans l’embrasure de la porte, éclairé à contre-jour par la lumière de la rue, elle l’aperçut.

Son cœur se mit à battre la chamade mais elle resta immobile. Elle le regardait dans la glace, calculant, mesurant, définissant, essayant de rassembler toutes ses facultés, humaines et surhumaines, pour saisir de quoi était faite cette créature.

— Tourne-toi vers moi, Rowan.

Sa voix était comme un baiser dans l’obscurité. Il n’avait ni ordonné ni supplié. C’était comme la demande d’un amant dont le cœur serait brisé s’il était éconduit.

Elle se retourna. Il était dans l’encadrement de la porte, les bras croisés. Il portait un costume sombre démodé ressemblant à ceux que portait Julien sur ses portraits des années 1890, avec un col blanc montant et une cravate de soie. Le tableau était splendide. Et quel ravissant contraste avec ses mains puissantes, comme celles de Michael, et les traits forts de son visage. Ses cheveux étaient mêlés de mèches blondes et sa peau était mate. Il lui faisait penser à Chase, son amant policier.

— Change ce que tu voudras, dit-il gentiment.

Et, avant qu’elle puisse répondre, elle vit la silhouette se modifier, les cheveux pousser légèrement, blondir, la peau prendre le teint bronzé de Chase et les yeux s’éclaircir. L’espace d’un court instant, ce fut exactement Chase. Puis les traits changèrent à nouveau et l’esprit reprit l’apparence qu’il avait eue dans la cuisine. C’était probablement sous cet aspect qu’il était apparu au cours des siècles, hormis le fait qu’il avait gardé le teint de Chase.

Involontairement, elle avait avancé vers lui. Elle n’était plus qu’à quelques mètres. Elle était moins effrayée qu’exaltée. Son cœur battait toujours à tout rompre mais elle ne tremblait pas. Elle tendit la main, comme elle l’avait fait dans la cuisine, et toucha son visage.

Une barbe mal rasée, de la peau qui n’en était pas. Son sens du diagnostic lui disait qu’il n’avait ni peau ni os ni organes internes. Il n’était qu’une enveloppe remplie d’un champ énergétique.

— Un jour, j’aurai des os, Rowan. Tous les miracles sont possibles.

Ses lèvres avaient à peine bougé et il perdait déjà sa forme. Il avait épuisé ses forces.

Elle le regarda fixement, se concentrant pour le retenir, et elle le vit redevenir solide.

— Aide-moi à sourire, ma belle, dit la voix, sans mouvement des lèvres, cette fois. Je te sourirais, à toi et à ton pouvoir, si je le pouvais.

Maintenant, elle tremblait. Avec chaque fibre de son corps, elle se concentra sur lui, pour insuffler de la vie aux traits de son visage. Elle sentait presque l’énergie qui émanait de son propre corps pour donner forme à l’étrange substance de l’être. Une grande chaleur l’enveloppa lorsqu’elle vit les lèvres commencer à sourire.

Un sourire serein, subtil comme celui de Julien sur les photos. Les grands yeux verts étaient remplis de lumière. Les mains se levèrent et se tendirent vers elle. Elle sentit une nouvelle vague de chaleur quand elles s’approchèrent de son visage à le toucher.

Puis l’image pâlit et se désintégra d’un coup. Le souffle chaud fut si violent qu’elle recula en levant les bras pour se protéger le visage.

Elle eut soudain très froid. Elle regarda sa main et s’aperçut qu’elle tremblait toujours. Elle s’approcha de la cheminée et s’agenouilla devant.

Elle mit du petit bois entre les chenets, ajouta quelques branches puis une bûche. Elle gratta une longue allumette et alluma le feu. En une seconde, le bois s’enflamma en crépitant. Elle contempla les flammes.

— Tu es là, n’est-ce pas ? murmura-t-elle en gardant les yeux sur le feu. Les flammes léchaient l’écorce séchée de la bûche.

— Oui, je suis là.

— Où ?

— Près de toi, autour de toi.

— D’où vient ta voix ? N’importe qui pourrait t’entendre. Tu parles pour de bon.

— Tu es mieux placée que moi pour comprendre comment c’est possible.

— C’est cela que tu attends de moi ?

Il poussa un long soupir. Elle écoutait. Aucun bruit de respiration, à peine celui d’une présence.

— Je t’aime, dit-il.

— Pourquoi ?

— Parce que tu es belle. Parce que tu peux me voir. Parce que tu as tous les attributs d’un être humain que j’aimerais posséder. Parce que tu es humaine, chaude et douce. Et je te connais. J’ai connu les autres avant toi.

Elle ne dit rien. Il poursuivit :

— Parce que tu es l’enfant de Deborah, de Suzanne, de Charlotte et de toutes celles dont tu connais les noms. Je t’ai aimée dès la première fois. Je t’ai vue arriver de loin.

Le feu flambait bien maintenant. Il dégageait une odeur réconfortante mais Rowan était dans un état second. Même sa propre respiration lui paraissait étrange. Et elle se demandait si, en fin de compte, la voix était réelle et si des tiers auraient pu l’entendre.

Néanmoins, elle était haute et claire et terriblement séduisante.

Lentement, elle s’assit sur le sol chaud près du foyer et s’appuya contre le marbre de la cheminée. Elle regarda dans l’ombre au centre de la pièce.

— Ta voix est apaisante, elle est magnifique, dit-elle en soupirant.

— C’est pour toi qu’elle est belle. Je veux te donner du plaisir. J’étais triste que tu me haïsses.

— Quand ?

— Quand je t’ai touchée.

— Raconte-moi. Je veux tout savoir.

— Il y a un grand nombre d’explications possibles. C’est toi qui formes l’explication en fonction des questions que tu poses. Je peux te parler de mon propre gré mais ce que je te dis est conditionné par ce que j’ai appris au travers des questions d’autres personnes, pendant des siècles. C’est une sorte de composition. Si tu veux une autre composition, tu n’as qu’à demander.

— Quand as-tu commencé ?

— Je l’ignore.

— Qui t’a donné le nom de Lasher ?

— Suzanne.

— Tu l’aimais ?

— J’aime Suzanne.

— Elle existe toujours ?

— Elle est partie.

— Je commence à saisir. Il n’existe aucune nécessité physique dans ton monde et, par conséquent, pas de temps non plus. Un esprit sans corps.

— Précisément.

— Je veux aller au fond des choses, connaître les motivations, ce que tu veux.

— Je sais. Je le savais avant que tu ne le formules. Mais tu es suffisamment intelligente pour comprendre que dans le monde où j’existe il n’y a aucun fond. Si tu me pousses à parler en phrases complètes et élaborées, j’essaierai d’y arriver. Mais ce que je te dirai pourra ne pas être aussi proche de la réalité que tu le souhaiterais.

— Es-tu un esprit ?

— Ce que tu entends par esprit, je le suis.

— Comment l’entends-tu, toi ?

— Je ne l’entends pas.

— Je vois. Dans ton monde, on n’a pas besoin de nom.

— Ni même de concept pour cela.

— Mais tu as des désirs. Tu veux devenir humain.

— Oui.

— Pourquoi ?

— Si tu étais à ma place, tu ne voudrais pas être humaine ?

— Je ne sais pas, Lasher. Je voudrais sans doute être libre.

— J’en crève d’envie, dit la voix. Sentir le chaud et le froid, connaître le plaisir. Voir clairement à travers des yeux humains. Sentir les choses. Exister. Satisfaire des ambitions. Avoir des rêves et des idées.

— Je comprends tout cela.

— N’en sois pas si sûre.

— Quand lu regardais à travers les yeux du vieil homme, tu voyais bien ?

— Mieux, mais la mort rôdait. Pour finir, je suis devenu aveugle à l’intérieur.

— J’imagine. Tu es entré dans le corps du beau-père de Charlotte de son vivant ?

— Oui. Il savait que j’étais là. Il était faible mais heureux de pouvoir marcher et soulever à nouveau des objets avec ses mains.

— Intéressant. C’est ce que nous appelons le phénomène de possession.

— Exact. Je voyais distinctement à travers ses yeux : des couleurs brillantes, des oiseaux. Je sentais même les fleurs et entendais les oiseaux. Je caressais Charlotte avec une main. Je connaissais Charlotte.

— Tu ne peux pas entendre, en ce moment ? Tu vois la lumière du feu ?

— Je connais tout cela mais je ne vois pas ni n’entends ni ne ressens de la même façon que toi. Sauf quand je suis près de toi. Alors, je vois ce que tu vois et je connais tes pensées.

Elle étouffa un cri d’effroi.

— Je commence à comprendre.

— C’est ce que tu crois. Mais c’est plus compliqué que ça.

— Je sais.

— Nous savons. Nous sommes. Mais nous avons appris de toi le temps et l’ambition. Pour avoir de l’ambition, il faut connaître les concepts de passé, de présent et de futur. Il faut planifier. Et je ne parle que de ceux d’entre nous qui le veulent. Ceux qui ne veulent pas apprendre, pourquoi devraient-ils savoir ? Mais le « nous » que j’emploie est une approximation. Il n’y a pas de « nous » pour moi parce que je suis seul. J’ai tourné le dos aux miens et je n’envisage que toi et ton espèce.

— Je vois. Quand tu étais dans les cadavres… les têtes dans le grenier…

— Oui.

— As-tu changé les tissus de ces têtes ?

— Oui. J’ai changé la couleur des yeux en marron. J’ai fait des mèches de couleur différente dans les cheveux. Il m’en a coûté une énorme quantité de chaleur et de concentration. La concentration est la clé de tout ce que je fais.

— Et ton état naturel ?

— Vaste, infini.

— Comment t’y es-tu pris pour changer la pigmentation ?

— Je suis entré dans les particules de chair et je les ai altérées. Mais tu t’y connais mieux que moi. Tu emploierais le mot mutation pour qualifier cette opération.

— Qu’est-ce qui t’a empêché d’assimiler l’ensemble de l’organisme ?

— Il était mort. Je suis progressivement devenu aveugle et sourd. Je n’ai pas réussi à lui rendre une étincelle de vie.

— Je vois. Le beau-père de Charlotte, tu as modifié son corps ?

— Je n’ai pas pu. Et je ne le pourrais pas plus maintenant. Tu comprends ?

— Oui. Tu es constant alors que nous sommes soumis au temps. Je vois. Mais tu dis que tu ne peux pas modifier les tissus vivants ?

— Pas ceux de cet homme. Ni ceux d’Aaron quand je suis en lui.

— Quand es-tu dans Aaron ?

— Quand il dort. C’est le seul moment où je peux entrer dans son corps.

— Pourquoi le fais-tu ?

— Pour devenir humain, vivant. Mais Aaron est trop fort pour moi. Il organise et commande ses propres tissus. Comme Michael et presque tous les autres. Même les fleurs.

— Je ne veux plus que tu entres dans Aaron. Je ne veux pas que tu lui fasses du mal. Ni à Michael.

— Je t’obéirai mais j’aimerais tuer Aaron.

— Pourquoi ?

— Parce qu’il est fini, qu’il en sait long et qu’il te ment.

— Comment ça, fini ?

— Il a accompli ce que je savais et voulais qu’il accomplisse. C’est pourquoi je dis qu’il est fini. Maintenant, tout ce qu’il va faire, je ne l’aurai pas voulu et cela va à l’encontre de mon ambition. Je le tuerais si cela ne devait pas attiser ta haine contre moi.

— Tu sens ma colère ?

— Elle me blesse profondément, Rowan.

— Je serais folle de rage si tu t’en prenais à Aaron. Mais parlons encore de lui. Explique-moi ce que tu voulais qu’Aaron fasse et qu’il a fait.

— Te dire ce qu’il savait. Une chronologie écrite.

— Tu veux parler de la chronologie de la famille Mayfair ?

— Je voulais qu’il te transmette son récit. Petyr a vu ma Deborah brûler. Aaron a vu ma Deirdre dans le jardin. Tes réactions et tes décisions sont guidées par cette histoire. Aaron a accompli sa mission.

— Je vois.

— Méfie-toi.

— De croire que je comprends ?

— Précisément. Continue à poser des questions. Je ne te cacherai rien. Rowan.

Elle entendit un nouveau soupir, long et doux.

Elle émit un petit rire de satisfaction : elle parvenait à le voir si elle essayait. Elle distinguait une sorte d’ondulation dans l’air, quelque chose qui enflait et remplissait la pièce.

— Oui… dit-il. J’aime ton rire. Je ne peux pas rire.

— Je peux t’aider à apprendre.

— Je sais.

— Est-ce que je suis la porte ?

— Oui.

— Et la treizième sorcière ?

— Oui.

— Alors, Michael avait raison ?

— Michael se trompe rarement. Il est très clairvoyant.

— Tu veux tuer Michael ?

— Non. J’aime Michael. Je voudrais me promener et parler avec lui.

— Pourquoi lui ?

— Je ne sais pas.

— Tu dois savoir.

— Aimer c’est aimer. La réponse est-elle la vérité ? Michael est brillant et beau. Michael rit. Michael possède un souffle invisible dans ses membres, ses yeux et sa voix. Tu comprends ?

— Je crois. C’est ce qu’on appelle de la vitalité.

— Exactement. J’ai vu Michael dès le début. Il a été une surprise pour moi. Il s’est approché de la grille. Et puis il a de l’ambition et il est fort. Il m’aimait. Maintenant, il me craint. Tu t’es interposée entre lui et moi et il craint que je m’interpose entre toi et lui.

— Mais tu ne lui feras aucun mal.

Pas de réponse.

— Tu ne lui feras aucun mal.

— Dis-moi de ne lui faire aucun mal et je t’obéirai.

— Mais tu as dit que tu ne lui voulais aucun mal ! Tu nous fais tourner en rond !

— Pas du tout. Je t’ai dit que je ne voulais pas le tuer, pas que je ne lui ferai pas de mal. Qu’est-ce que tu veux ? Que je te mente ? Je ne mens pas. Aaron ment, lui. Pas moi.

— Ça, je n’y crois pas. Toi tu y crois, peut-être.

— Tu me blesses.

— Dis-moi comment tout cela va se terminer ?

— Quoi ?

— Ma vie avec toi.

Silence.

— Tu ne veux pas me le dire ? insista-t-elle.

— Tu es la porte.

Rowan était très calme. Elle sentait son esprit travailler. Le feu crépitait, les flammes léchaient les briques. Ce mouvement semblait trop lent pour être réel. Il y eut un frémissement dans l’air. Elle vit les larmes de cristal du lustre bouger, tourner et capter des petits fragments de lumière.

— Qu’est-ce que ça veut dire être la porte ?

— Tu le sais.

— Non.

— Tu peux transformer la matière, docteur Mayfair.

— Ça, ce n’est pas certain. Je suis chirurgien. Je travaille avec des instruments précis.

— Mais ton esprit est bien plus précis encore.

Elle fit une grimace. Cette conversation ramenait cet étrange rêve sur Leiden…

— Tu as stoppé des hémorragies, refermé des plaies. Tu as fait obéir la matière.

Le lustre tintait.

— Je ne me rendais pas toujours compte…

— Mais tu l’as fait. Tu redoutes ton pouvoir mais tu le possèdes bel et bien. Sors dans le jardin et fais ouvrir les fleurs. Tu peux les faire pousser comme je l’ai fait pour le glaïeul. Cela a épuisé mes forces.

— Et le glaïeul est mort.

— Je ne voulais pas le tuer.

— Tu l’as poussé jusqu’à ses dernières limites. C’est pour ça qu’il est mort.

— Je ne connaissais pas ses limites.

Elle se tourna de côté. Elle se sentait dans une sorte de transe.

— Tu n’as pas simplement poussé les molécules dans une direction ou une autre ?

— Non. J’ai percé la structure chimique des cellules, comme tu sais le faire. Tu es la porte. Tu distingues le cœur même de la vie.

L’atmosphère du rêve lui revint. Tout le monde se pressait aux fenêtres de l’université de Leiden. La foule, dans la rue, disait que Jan Van Abel était un hérétique.

— Tu ne sais pas ce que tu dis, répondit-elle.

Il soupira une nouvelle fois.

Quelque chose bougea dans les coins de la pièce. Les rideaux battaient violemment. Et le lustre recommençait à tinter. N’y avait-il pas un nuage de vapeur montant jusqu’au plafond ? Était-ce juste la lueur du feu qu’elle apercevait du coin de l’œil ?

— Le futur est un tissu de possibilités entrelacées, dit-il. Une partie d’entre elles deviendra des probabilités, dont une partie deviendra à son tour des inéluctabilités. Mais la chaîne et la trame cachent aussi des surprises.

— Dieu soit loué ! Ainsi, tu ne vois pas à l’infini ?

— Oui et non. Tu n’es pas prévisible. Tu es trop forte. Tu peux être la porte si tu le désires.

— Comment ?

Silence.

— C’est toi qui as noyé Michael ? poursuivit-elle.

— Non.

— Qui alors ?

— Michael est tombé de la falaise à cause de son imprudence. Son esprit souffrait et sa vie n’était rien. Tout était écrit sur son visage et dans ses gestes. Nul besoin d’être un esprit pour voir ça.

— Tu l’as donc vu ?

— Je l’ai vu bien longtemps avant que ça ne se produise mais ce n’est pas moi qui l’ai provoqué. Je souriais parce que je savais que Michael et toi alliez vous rencontrer. Je l’avais vu quand Michael était encore enfant et qu’il me regardait à travers la grille du jardin. J’ai vu la mort de Michael et son sauvetage par Rowan.

— Et qu’est-ce que Michael a vu quand il était noyé ?

— Je ne sais pas. Il n’était pas vivant.

— Qu’est-ce que tu veux dire ?

— Il était mort, docteur Mayfair. Tu sais ce que c’est. Le corps n’est plus soumis à la force qui l’organise et ne répond plus à aucun ordre. Si j’étais entré dans ce corps, j’aurais pu soulever ses membres et entendre à travers ses oreilles parce qu’il était frais. Mais il était mort. Michael avait quitté son corps.

— Comment le sais-tu ?

— Parce que je l’avais vu avant que cela ne se produise. Et pendant aussi.

— Où étais-tu à ce moment-là ?

— Auprès de Deirdre. En train de la rendre heureuse et de la faire rêver.

Rowan rit doucement.

— Ta voix est magnifique.

— Je suis magnifique, Rowan. Ma voix est mon âme. J’ai sûrement une âme. Le monde serait trop cruel, sinon.

Rowan fut si triste en entendant cela qu’elle aurait pu pleurer. Elle regarda à nouveau le lustre et les centaines de petites flammes réfléchies par le cristal. La pièce semblait baignée de chaleur.

— Aime-moi, Rowan, dit-il simplement. Je suis l’être le plus puissant que l’on puisse imaginer dans ton monde. A part toi, ma bien-aimée.

Sa voix était semblable à un chant sans mélodie.

— Quand je serai de chair et de sang, je serai plus qu’humain, reprit-il. Je serai un être nouveau sous le soleil. Et j’aurai bien plus d’importance pour toi que Michael.

— Tu veux dire que j’aurai à choisir entre Michael et toi ?

Silence.

— Les autres, tu les as fait choisir ? dit-elle, pensant en particulier à Mary Beth et ses amants.

— Je t’ai dit que je voyais loin. Quand Michael était près de la grille, il y a de nombreuses années de votre temps, j’ai vu que tu ferais un choix.

— Ne me parle plus de ce que tu as vu.

— Très bien. Parler de l’avenir rend toujours les humains malheureux. Leur énergie repose sur le fait qu’ils ne peuvent voir loin. Parlons du passé. Les humains aiment comprendre le passé.

— As-tu un autre ton de voix que celui-ci, qui est si beau ? Est-ce que ce que tu viens de dire se voulait sarcastique ?

— Ce que tu entends reflète ce que je ressens. Car je ressens. Dans mes pensées. La douleur, l’amour, les émotions.

— Ton débit de parole s’accélère.

— Parce que je souffre.

— Pourquoi ?

— Je voudrais être de chair et de sang.

— Je peux te donner ça ?

— Tu en as le pouvoir. Une fois que ce sera fait, d’autres choses pourront être accomplies. Tu es la treizième. Tu es la porte.

— Qu’entends-tu par « d’autres choses » ?

— Rowan, il s’agit de fusion, de mutations chimiques, de réinvention de la structure cellulaire, de rapports nouveaux entre la matière et l’énergie.

— Pourquoi est-ce que personne ne l’a fait avant moi ? Julien était puissant.

— Le savoir, Rowan. Julien est né trop tôt. Permets-moi d’utiliser une nouvelle fois le terme de fusion, mais d’une façon légèrement différente. Nous avons parlé jusqu’ici de fusion à l’intérieur des cellules. Maintenant, je te parle de fusion entre ta connaissance de la vie et ton pouvoir inné. Voilà la clé. Voilà ce qui te permet d’être la porte. Les connaissances d’aujourd’hui étaient inimaginables à l’époque, même pour Julien, qui était capable de prédire des inventions qui paraissaient invraisemblables en ce temps-là. Julien aurait-il pu imaginer une opération à cœur ouvert ? Un enfant conçu dans une éprouvette ? Non. Et il viendra après toi des gens dont le savoir sera suffisamment grand pour définir ce que je suis.

— Peux-tu te définir toi-même ?

— Non, mais je suis certainement définissable. Quand les mortels réussiront à me définir, je saurai me définir moi-même.

— Mais tu dois bien savoir quelque chose sur toi ?

— Que je suis immense. Que je dois me concentrer pour sentir ma force. Que je peux exercer cette force. Que je peux ressentir de la souffrance dans la partie pensante de mon être.

— Et c’est quoi, cette partie pensante ? D’où vient-elle, cette force que tu exerces ? Voilà des questions pertinentes.

— Je ne sais pas. Quand Suzanne m’appelait, je me rassemblais. Je sentais ma forme et je l’allongeais comme l’étoile à cinq branches du pentagramme qu’elle dessinait et j’étirais chacun de ses points. Je faisais frémir les arbres et tomber les feuilles et Suzanne m’appelait son Lasher.

— Et tu aimais faire ça ?

— Oui. Pour que Suzanne le voie. Elle aimait ça. Sinon, je ne l’aurais jamais refait et je ne m’en souviendrais même pas.

Le feu se mourait dans l’âtre mais la chaleur s’était répandue dans toute la pièce et l’enveloppait comme une couverture. Elle se sentait à la fois ensommeillée et alerte.

— Reparlons de Julien. Il avait autant de pouvoir que moi ?

— Presque, ma bien-aimée. Pas tout à fait. Mais Julien avait une âme d’enfant. Il aimait autant détruire que construire. Toi, tu es plus logique.

— Est-ce une qualité ?

— Tu as une volonté inébranlable.

Je vois. Qu’aucune saute d’humeur ne peut ébranler, contrairement à Julien ?

— Exactement.

— Y a-t-il un Dieu, Lasher ?

— Peut-être, Rowan. Avec le temps, je me suis forgé une opinion. C’est oui. Mais cela me remplit de rage.

— Pourquoi ?

— Parce que je souffre et que s’il y a un Dieu, c’est lui qui a créé la souffrance.

— Oui. Mais s’il existe, c’est aussi lui qui a créé l’amour.

— L’amour est à l’origine de ma souffrance. Il est à l’origine de tous mes mouvements dans le temps, de mon ambition et de mes projets. On peut dire, d’une certaine manière, que l’amour m’a empoisonné. C’est l’appel de Suzanne qui a éveillé l’amour en moi et, par la même occasion, ce cauchemar qu’est le désir.

— Tu me fais de la peine, dit-elle soudain.

— Et maintenant, il faut que je devienne un être de chair et de sang. Je t’ai attendue si longtemps. J’ai tellement souffert. Et si j’avais des larmes à répandre, j’aurais pleuré. Pas seulement pour Stella mais pour toutes les autres aussi, toutes mes sorcières. A la mort de Julien, ma douleur fut si grande que j’aurais pu retourner dans le royaume de la lune, des étoiles et du silence. Mais c’était trop tard pour moi. Je ne supportais plus ma solitude. Quand Mary Beth m’a appelé, je suis revenu à elle. J’ai regardé l’avenir et j’ai vu à nouveau le treize. J’ai vu que la puissance de mes sorcières ne cessait de se renforcer.

Rowan avait fermé les yeux. Le feu était éteint. La pièce était pleine de l’esprit de Lasher. Elle le sentait contre sa peau et sa texture était aussi légère que l’air.

— Quand je serai de chair et de sang, les larmes et le rire deviendront un réflexe, comme pour toi ou Michael. Je serai un organisme complet.

— Mais pas humain.

— Mieux qu’humain car j’aurai un pouvoir plus grand que celui de n’importe quel humain. Je serai une espèce qui n’existe pas encore.

— As-tu tué Arthur Langtry ?

— Pas exactement. Il était mourant. Ce qu’il a vu a précipité sa mort.

— Mais pourquoi lui es-tu apparu ?

— Parce qu’il était fort et qu’il pouvait me voir. Je voulais l’attirer pour qu’il sauve Stella. Il savait qu’elle était en danger.

— Pourquoi est-ce qu’il ne l’a pas aidée ?

— C’était trop tard. Dans des moments pareils, je suis comme un enfant. Le temps a été le plus fort.

— Je ne te suis pas.

— C’est pendant que j’apparaissais à Langtry que les coups de feu ont été tirés dans la tête de Stella. Elle est morte instantanément. Je vois loin mais je peux me laisser surprendre.

— Tu ne savais pas ?

— C’est à cause de Carlotta. Elle m’a volontairement égaré. Je ne suis pas infaillible. On peut même dire qu’on peut m’avoir avec une facilité déconcertante.

— C’est-à-dire ?

— Pourquoi te le dirais-je ? Pour que tu puisses mieux me contrôler ? Tu sais très bien ce que je veux dire. Tu es aussi puissante que Carlotta. Elle m’a trompé. Elle considérait ce meurtre comme un acte d’amour. Elle s’est servie de Lionel pour qu’il prenne l’arme et tire sur Stella. Je ne faisais pas attention au sentiment d’amour de Lionel. Tandis que Stella agonisait, elle m’a appelé. Elle avait les yeux grands ouverts mais sa blessure était irréparable. C’est alors que Lionel a tiré le deuxième coup et que l’esprit de Stella est sorti de son corps pour toujours.

— Mais tu as tué Lionel. Tu l’as poussé vers la mort.

— Oui.

— Et Cortland ? C’est toi qui l’as tué ?

— Non. Je me suis battu contre lui et il a voulu utiliser sa force contre moi. Il a échoué. Ce n’est pas moi qui ai tué ton père.

— Pourquoi luttiez-vous l’un contre l’autre ?

— Je l’avais prévenu. Il croyait qu’il pouvait me commander. Mais il n’était pas ma sorcière. Deirdre était ma sorcière. Toi, tu es ma sorcière. Pas Cortland.

— Mais Deirdre ne voulait pas m’abandonner. Et Cortland était de son côté.

— Cela n’a aucune importance. Tu as eu ta liberté. Ainsi, tu devais être plus forte à ton retour. Tu étais libérée de Carlotta.

— Mais tu savais que c’était contre le gré de Deirdre et de Cortland.

— C’était pour toi, Rowan. Je t’aime.

— Tout était prévu, en fait. Mais tu ne veux pas me l’avouer. Une fois que l’enfant est né, tu appartiens à l’enfant et plus à la mère. C’est ce qui s’est passé avec Deborah et Charlotte n’est-ce pas ?

— Tu te trompes sur mon compte. Quand j’agis dans l’espace-temps, je commets parfois des erreurs.

— Tu es allé à l’encontre des souhaits de Deirdre. Tu as fait en sorte qu’on m’éloigne. Tu as détourné à ton profil le principe des treize sorcières. Tu n’as jamais œuvré que dans ton propre intérêt, c’est exact ?

— Tu es la treizième et la plus puissante. Tu es mon intérêt et je te servirai. Tes intérêts et les miens sont confondus.

— Je n’en crois pas un mot.

Elle sentit la souffrance en lui, la turbulence de l’air, l’émotion.

— Tu le rappelles la première fois que tu as vu des êtres humains ?

— Oui.

— Qu’as-tu pensé ?

— Qu’il n’était pas possible qu’un esprit vienne de la matière, que c’était une plaisanterie ou une erreur.

— Et alors ?

— Nous avons été surpris par cette mutation. C’était pour nous quelque chose d’entièrement nouveau. Et, en plus, nous passions en position d’observateurs.

— Comment cela ?

— L’intelligence humaine, enfermée dans la matière, nous percevait et, par conséquent, nous a forcés à nous percevoir nous-mêmes. Pendant des millénaires, l’intelligence spirituelle de l’homme s’est développée. Elle n’a pas cessé de se renforcer, elle a développé des pouvoirs télépathiques, elle a capté notre existence, nous a donné des noms, nous a parlé et séduits. Y prêter attention, c’était nous changer. Nous avons commencé à réfléchir sur nous-mêmes.

— Ainsi, c’est nous qui vous avons fait prendre conscience de vous ?

— Julien disait : « La matière a créé l’homme et l’homme a créé les dieux. » C’est en partie exact.

— Revenons à Aaron. Pourquoi dis-tu qu’il ment ?

— Aaron ne révèle pas le but exact du Talamasca.

— Tu en es certain ?

— Bien sûr. Comment pourrait-il me mentir ? Je savais qu’il allait venir avant même qu’il n’existe. Les mises en garde d’Arthur Langtry lui étaient destinées alors qu’il ne savait pas encore qu’Aaron viendrait au monde.

— Mais quand et à quel sujet ment-il ?

— Aaron a une mission à accomplir. Comme tous les frères du Talamasca. Ils gardent cette mission secrète. Ils ont de nombreux secrets. Ils sont un ordre occulte, pour employer des mots que tu comprends.

— Quels sont ces secrets et cette mission ?

— Il s’agit de protéger l’homme contre nous. De s’assurer qu’il n’y ait plus de portes.

— Tu veux dire qu’il y a déjà eu des portes ?

— Oui. Il y a eu des mutations. Mais ce que tu peux réaliser avec moi sera sans précédent.

— Attends une seconde. Tu veux dire que d’autres entités désincarnées sont entrées dans le monde matériel ?

— Oui.

— Mais qui ? Que sont-elles ?

— Rire. Elles se cachent très bien.

— « Rire ? » Pourquoi as-tu dit ça ?

— Parce que ta question me fait rire mais, comme je ne sais pas rire, je dis le mot « rire ». Cela m’amuse que tu croies que cela ne s’est pas déjà produit, toi, une mortelle, avec toutes les histoires de fantômes, de monstres de la nuit et autres horreurs que tu peux connaître. Tu croyais que toutes ces légendes n’avaient pas la plus petite part de fondement ? Mais c’est sans importance. Notre fusion sera bien plus parfaite qu’aucune de celles du passé.

— Et pourquoi Aaron voudrait-il m’empêcher d’être la porte ?

— A ton avis ?

— Parce qu’il pense que tu es mauvais.

— Non naturel, voilà ce qu’il dirait. C’est parfaitement stupide, d’ailleurs, parce que je suis aussi naturel que l’électricité, les étoiles ou le feu.

— Non naturel ! Il redoute tes pouvoirs.

— Oui, mais il est stupide.

— Pourquoi ?

— Rowan, si cette fusion peut s’accomplir une fois, elle pourra s’accomplir de nouveau. Tu ne comprends donc pas ?

— Si. Il y a douze cryptes dans la tombe et une porte.

— Rowan… Tu réfléchis maintenant. Quand tu as commencé à lire des livres de neurologie, quand tu es entrée dans un laboratoire pour la première fois, quelle a été ton impression ? Que l’homme n’en était qu’au début de ce que la science actuelle pouvait lui faire accomplir, qu’il pourrait créer de nouveaux êtres grâce aux transplantations, aux greffes et aux expériences in vitro sur les gènes et les cellules. Tu as compris toute l’étendue des possibilités. Mais tu as tout refusé en bloc parce que tu avais peur de ce que tu pourrais faire. Tu t’es cachée derrière un microscope chirurgical et tu as substitué à ton pouvoir les micro-instruments d’acier avec lesquels tu as séparé des tissus au lieu de les créer. Même aujourd’hui, tu agis par peur. Tu veux construire des hôpitaux pour soigner les gens alors que tu pourrais créer des êtres nouveaux.

Rowan était pétrifiée. Personne ne lui avait encore jamais parlé avec une telle précision de ses pensées les plus profondes. Elle sentit la chaleur et la dimension de sa propre ambition. Elle sentit l’enfant en elle.

— N’as-tu pas un cœur pour comprendre pourquoi, Lasher ?

— Je vois loin, Rowan. Je vois toute la souffrance du monde. Je vois les accidents et les erreurs. Je ne suis pas aveuglé par des illusions. J’entends partout des cris de douleur.

— Que se passera-t-il pour toi quand tu seras de chair et de sang ? Quel prix devras-tu payer pour ça ?

— Le prix à payer ne me fait pas reculer. La souffrance charnelle ne peut être pire que celle que j’ai endurée depuis trois siècles. Aimerais-tu être à ma place. Rowan ? Toujours seul, à la dérive, intemporel, à écouter les voix charnelles du monde, assoiffé d’amour et de compréhension ?

Rowan était incapable de répondre.

— J’attends depuis l’éternité de m’incarner. J’ai attendu que l’esprit fragile de l’homme atteigne finalement un savoir suffisant pour abattre la barrière. Je serai de chair et de sang et tout ira pour le mieux.

Silence.

— Je comprends pourquoi Aaron a peur de toi, dit-elle.

— Aaron est petit. Le Talamasca est petit. Ils ne sont rien !

La voix s’amenuisait de colère. Dans la pièce, l’air était chaud et remuait comme de l’eau dans une casserole juste avant de bouillir. Les lustres bougeaient sans bruit maintenant, comme si les sons étaient emportés par les tourbillons d’air.

— Le Talamasca possède le savoir, dit-il. Il a le pouvoir d’ouvrir les portes mais refuse de le faire pour nous. Il est notre ennemi. Il veut maintenir le destin du monde dans la souffrance et l’aveuglement. Et il ment. Ce sont tous des menteurs. Ils ont établi un dossier sur les sorcières Mayfair parce c’est en même temps le dossier de Lasher et ils combattent Lasher. C’est leur but inavoué. Et ils te trompent en te faisant croire qu’ils s’intéressent aux sorcières. C’est le nom de Lasher qui devrait figurer en lettres d’or sur les couvertures de leurs précieux dossiers. Le dossier est codé. Tu ne comprends donc pas ?

— Ne fais pas de mal à Aaron.

— Tu exerces tes sentiments à mauvais escient, Rowan.

— Lasher, si tu le tues je ne serai pas la porte.

— Rowan, je suis à tes ordres. Je l’aurais déjà tué sinon.

— Et pareil pour Michael.

— Très bien, Rowan.

— Pourquoi as-tu dit à Michael qu’il ne pourrait pas m’arrêter ?

— Parce que je voulais lui faire peur. Il est sous la coupe d’Aaron.

— Lasher, comment puis-je t’aider à devenir humain ?

— Je le saurai quand tu le sauras. Et tu le sais. Aaron aussi.

— Mais nous ignorons tout de la vie. Malgré la science et les définitions que nous avons élaborées, nous ne savons ni ce qu’elle est ni comment elle a commencé. Le moment où elle a jailli à partir de matière inerte reste pour nous un mystère total.

— Je suis déjà vivant, Rowan.

— Mais comment pourrais-je te rendre charnel ? Tu es entré dans des corps vivants et morts et tu n’y es pas parvenu.

— C’est pourtant faisable, Rowan. Avec mon pouvoir et le tien. Mais ce n’est qu’entre tes mains qu’une fusion complète est possible.

Rowan écarquilla les yeux, essayant de distinguer des formes dans l’obscurité.

— Je t’aime, Rowan, dit-il. Tu es fatiguée maintenant. Laisse-moi te réconforter. Laisse-moi te caresser.

— Je veux… je veux être heureuse avec Michael et notre enfant.

Il y eut des turbulences dans l’air, comme quelque chose qui se rassemblait et s’intensifiait. Elle sentit que l’air se réchauffait encore davantage.

— J’ai une patience sans limites. Je vois loin. Je peux attendre. Mais tu n’auras plus de goût pour les autres maintenant que tu m’as vu et que tu m’as parlé.

— N’en sois pas si sûr. Lasher. Je suis plus forte que les autres et j’en sais bien plus.

— Oui, Rowan.

La turbulence était de plus en plus dense, comme un nuage de fumée entourant le lustre et se répandant partout.

— Ai-je le pouvoir de te détruire ?

— Non.

— Pourquoi ?

— Rowan, tu me tortures.

— Pourquoi est-ce que je ne peux pas te détruire ?

— Rowan, tu as le pouvoir de transmuer la matière. Et moi je n’ai pas de matière à laquelle tu pourrais t’attaquer. Tu pourrais abîmer mon image. Tu l’as déjà fait, d’ailleurs, quand je suis venu à toi près de l’eau. Mais tu ne peux pas me détruire. J’ai toujours été. Je suis éternel.

— Et si je te disais que tout était fini, que je ne te reconnaîtrai plus jamais, que je ne serai pas la porte, que je serai la porte des Mayfair pour les siècles à venir, la porte pour mon enfant à naître et pour mes rêves ?

— Des vétilles, Rowan. Tout cela n’est rien comparé aux mystères et aux possibilités que je t’offre. Imagine, Rowan ! Quand la mutation sera réalisée et que j’aurai un corps animé par mon esprit intemporel ! Imagine ce que tu pourras apprendre de moi !

— Et si cela s’accomplit, Lasher, si la porte s’ouvre et que la fusion se réalise, quand tu seras devant moi, de chair et de sang, comment te comporteras-tu à mon égard ?

— Je t’aimerai au-delà de tout ce que tu peux imaginer car tu seras ma mère, mon créateur et mon professeur. Comment pourrais-je ne pas t’aimer ? Mon besoin de toi sera incommensurable. Tu ne vois pas ? Je te vénérerai, ma bien-aimée. Je serai ton instrument pour toute chose et je serai vingt fois plus fort que maintenant. Pourquoi pleures-tu ? Pourquoi y a-t-il des larmes dans tes yeux ?

— C’est un tour que tu me joues ! Tu n’es qu’une illusion faite de sons et de lumière !

— Non. Je suis ce que je suis, Rowan. C’est ta raison qui t’affaiblit. Tu vois loin. Tu l’as toujours fait. Douze cryptes et une porte, Rowan.

— Je ne comprends pas. Tu te joues de moi. Tu me troubles. Je ne peux plus te suivre.

Silence. Puis à nouveau ce son, comme si l’air n’était qu’un immense soupir. De la tristesse. De la tristesse l’enveloppant comme un nuage et les couches ondulantes de fumée se mouvant dans la pièce, contournant les lustres, teintant les miroirs d’obscurité.

— Tu es tout autour de moi, n’est-ce pas ?

— Je t’aime.

Elle eut l’impression que des lèvres effleuraient sa joue. Elle se raidit mais son esprit était tout embrumé.

— Éloigne-toi de moi. Je veux être seule. Je n’ai aucune obligation de t’aimer.

— Rowan, quel cadeau voudrais-tu que je t’offre ?

Encore une fois, quelque chose effleura son visage. Tout son corps frissonna. Ses seins durcirent sous la soie de sa chemise de nuit et elle ressentit un désir qui la prenait tout entière.

Elle tenta d’y voir plus clair. Il faisait complètement noir. Le feu s’était éteint alors qu’un instant plus tôt le bois flambait bien.

— Tu te joues de moi comme tu as joué des tours à Michael.

L’air semblait toucher tout son corps.

— Non, entendit-elle, comme un doux baiser à son oreille.

— Quand Michael était noyé, c’est toi qui as provoqué les visions !

— Non, Rowan. Je n’étais pas là. Je ne pouvais pas le suivre là où il allait. J’appartiens au monde des vivants.

Parcourue d’un tremblement, elle leva les mains pour chasser ses sensations. Elle avait l’impression d’être prise dans une toile d’araignée.

— As-tu vu les fantômes que Michael a vus ?

— Oui, mais à travers ses yeux.

— Qui étaient-ils ?

— Je ne sais pas.

— Pourquoi ne sais-tu pas ?

— C’étaient des images de morts, Rowan. J’appartiens à cette terre, je ne connais pas les morts. J’ignore tout de ce qui n’est pas terrestre.

— Mais qu’est-ce que ça veut dire « cette terre » ?

Quelque chose toucha sa nuque et souleva doucement ses cheveux.

— C’est ici, Rowan. C’est le monde dans lequel tu existes et j’existe, le monde physique. Je suis physique. Je suis aussi naturel que n’importe quelle autre chose sur cette terre. Je me consume pour toi, Rowan, dans ce monde qui est le nôtre.

Quelque chose se mit à caresser ses seins et ses cuisses. Elle replia ses jambes sous elle. L’âtre était froid maintenant.

— Va-t’en ! murmura-t-elle. Tu es mauvais.

— Non.

— Viens-tu de l’enfer ?

— Dis plutôt que je vis un enfer, tant je désire te donner du plaisir.

— Arrête. Je veux me lever maintenant. J’ai sommeil. Je ne veux pas rester ici.

Elle se tourna et regarda le foyer noirci de la cheminée. Il n’y avait plus de braise. Ses yeux et ses membres étaient lourds. Elle se leva difficilement, en prenant appui sur le manteau de la cheminée. Mais elle savait qu’elle n’irait pas jusqu’à l’escalier. Elle se retourna, tomba sur les genoux et s’allongea sur le tapis chinois. Elle eut l’impression d’être en train de rêver quand elle regarda le plafond. Le médaillon blanc en plâtre avait l’air de bouger, ses feuilles d’acanthe se recroquevillaient et se tordaient.

Toutes les paroles qu’elle avait entendues se mélangeaient dans son esprit. Ses mamelons et son sexe l’élançaient. Elle pensa à Michael, à des milliers de kilomètres. Elle avait eu tort de sous-estimer cette créature.

— Je t’aime, Rowan.

— Tu es au-dessus de moi, n’est-ce pas ?

Elle essaya de distinguer quelque chose dans le noir, appréciant la fraîcheur de l’air car elle était aussi brûlante que si elle avait absorbé toute la chaleur du feu. Elle sentait l’humidité entre ses jambes et son corps s’ouvrait comme une fleur. Quelque chose se mit à caresser l’intérieur de ses cuisses, là où sa peau était la plus douce. Malgré elle, elle tourna ses jambes vers l’extérieur.

— Je te dis d’arrêter.

— Je t’aime, ma chérie.

Il lui embrassa les joues et les lèvres puis se mit à lécher ses seins de plus en plus fort, en rythme, en mordillant légèrement ses mamelons.

— C’est insupportable, dit-elle dans un souffle.

En fait, elle aurait crié de désespoir si cela s’était arrête.

Ses bras furent écartés et elle sentit qu’on tirait sur sa chemise de nuit. La soie se déchira et elle se retrouva délicieusement nue sur le tapis, des mains invisibles caressant fébrilement son sexe. C’était Lasher qui la suçait et la caressait, les lèvres sur ses oreilles et ses paupières, toute son immense présence l’enveloppant, dessus, dessous et caressant les lèvres de son sexe.

« Et quand elle se lovait comme un chat au soleil… »

— Va-t’en, vielle femme, tu n’es pas là. C’est à mon tour maintenant.

— Oui, c’est à ton tour.

Des langues léchaient ses bouts de seins, des lèvres se refermaient sur eux, les tiraient et les mordaient.

— Plus fort ! Viole-moi ! Fais-le ! Utilise ton pouvoir.

Il la souleva. Sa tête retomba en arrière, ses cheveux pendants touchant le sol. Elle avait les yeux fermés. Des mains écartèrent ses cuisses et son sexe.

— Viens en moi ! Fais-toi homme pour moi ! Un homme fort !

Les bouches s’affairèrent sur ses mamelons, se mirent à laper ses seins et son ventre. Les doigts la tirèrent en arrière et agrippèrent ses cuisses.

— Le sexe ! murmura-t-elle avant de le sentir, énorme et dur, entrer en elle. Oui, vas-y ! Prends-moi ! Défonce-moi !

Ses sens furent envahis d’une odeur de chair et de cheveux. Elle sentit un poids sur elle tandis que le sexe se mettait à la pilonner.

— Oui, plus dur, plus fort, viole-moi.

Elle aperçut un visage, des yeux verts et des lèvres qui s’écrasèrent sur les siennes.

Son corps était plaqué au sol et le pénis la brûlait en allant et venant en elle, frottant son clitoris puis s’enfonçant au plus profond d’elle.

— Je n’en peux plus, c’est insupportable, marmonna-t-elle.

Un immense orgasme l’envahit, vidant complètement son esprit, répandant une sensation de langueur dans son ventre, sa poitrine, son visage, descendant jusqu’à ses cuisses, raidissant ses mollets et parvenant jusqu’aux muscles de ses pieds. Elle cria d’extase, son corps vidé et dénué de toute volonté. Mais ce n’était pas fini. Encore et encore, le plaisir explosa en elle, jusqu’à ce que le temps, le remords et toute pensée sombre soient effacés.

 

 

Le matin. Etait-ce un bébé en train de pleurer ? Non. La sonnerie du téléphone. Sans importance.

Elle était allongée sur son lit, nue sous les draps. Le soleil inondait la pièce. Le souvenir du plaisir lui revint à l’esprit. Etait-ce le téléphone ou un bébé qui pleurait ? On aurait dit les cris d’un bébé à l’autre bout de la maison. En pensée, elle imagina ses petites jambes, ses genoux et ses petits pieds potelés.

— Ma chérie, murmura-t-il.

— Lasher, répondit-elle.

Les pleurs s’étaient tus. Les yeux fermés de Rowan erraient en pensée sur les fenêtres ensoleillées et les branches de chêne entremêlées sur un fond d’azur.

Lorsqu’elle les rouvrit, elle se retrouva nez à nez avec des yeux verts et un visage sombre aux traits exquis. Elle toucha du doigt la lèvre soyeuse de Lasher puis le sentit peser sur elle, son énorme sexe en érection entre ses jambes à elle.

— Oui, tu es si fort ! C’est si bon !

— Pour toi, ma beauté, ma divine.

Puis elle sentit la vague de chaleur, le vent chaud soufflant dans ses cheveux et la tornade brûlante.

Dans le doux silence du matin, dans la lumière du soleil, ils recommencèrent.

 

 

A midi, elle s’assit au bord de la piscine. De la vapeur s’élevait de l’eau. C’était le moment d’éteindre le chauffage de la piscine. L’hiver était bel et bien là.

Mais elle avait chaud dans sa robe de laine. Elle se brossa les cheveux.

Elle sentait sa présence près d’elle. Oui, l’air vibrait et l’entourait comme un voile dont on aurait drapé ses épaules et ses bras.

— Laisse-moi ! murmura-t-elle.

La substance invisible se cramponna à elle. Rowan s’assit bien droit et ordonna :

— Va-t’en, je t’ai dit !

Elle sentit une bouffée de chaleur puis le froid retomba lorsque l’air reprit sa densité normale. Les arômes subtils du jardin se firent à nouveau sentir.

— Je te dirai quand tu pourras venir, dit-elle. Je refuse d’être à la merci de tes caprices.

— Comme tu veux, Rowan.

C’était la même voix intérieure qu’à Destin.

— Tu vois et tu entends tout, n’est-ce pas ?

— Même tes pensées.

Le rouge lui monta aux joues. Elle roula en boule les cheveux blonds accrochés aux poils de sa brosse et les jeta dans les fougères derrière elle. Ils disparurent dans les frondes et les feuilles sombres.

— Peux-tu voir Michael ? Tu sais où il est ?

— Oui, je le vois. Il est dans la maison. Il fait un tri dans les objets qui lui appartiennent tout en ressassant ses souvenirs. Il est fou d’impatience de revenir vers toi. Il ne pense qu’à toi. Et toi, Rowan, tu ne penses qu’à me trahir. Tu as l’intention de raconter à ton ami Aaron que tu m’as vu.

— Et qui pourrait m’en empêcher ?

— Je t’aime, Rowan.

— Tu as besoin de moi et tu le sais. Tu ne viendras que si je t’appelle.

— Je suis ton esclave, Rowan, pas ton ennemi.

Elle se leva et contempla le doux feuillage de l’olivier et le ciel pâle. La piscine n’était qu’une immense lumière bleue fumante. Le chêne au-dessus se balançait dans la brise. A nouveau, l’air changea.

— Arrière, je t’ai dit !

Elle entendit l’inévitable soupir de douleur et ferma les yeux. Quelque part, au loin, un bébé pleurait. Elle l’entendait. Les pleurs venaient probablement d’une de ces majestueuses maisons silencieuses qui lui paraissaient si désertes au milieu de la journée.

Elle rentra dans la maison en faisant claquer ses talons sur le plancher. Elle prit son imperméable dans le placard de l’entrée et de quoi se protéger contre le froid puis sortit.

Pendant une heure, elle marcha dans les rues vides en s’efforçant de prêter attention à ce qu’elle rencontrait : la mousse poussant sur les murs, la couleur du jasmin entortillé autour d’une grille. Elle essaya de ne pas penser ni de paniquer. Elle essaya de ne pas avoir envie de rentrer. Mais, finalement, ses pas la ramenèrent devant chez elle.

Sa main tremblait quand elle introduisit la clé dans la serrure. A l’autre extrémité de l’entrée, sur le seuil de la salle à manger, il était là et l’observait.

— Non ! Attends que je t’appelle ! dit-elle, remplie de haine.

L’image se volatilisa et une odeur âcre parvint à ses narines. Elle porta sa main à sa bouche. Il y eut dans l’air une sorte de mouvement ondulatoire, puis plus rien et la maison retrouva le calme.

Puis encore ce bruit de pleurs.

— C’est toi, dit-elle.

Le bruit disparut. Elle monta dans sa chambre. Le lit avait été fait, ses vêtements de nuit étaient rangés et les rideaux ouverts.

Elle ferma la porte à clé, enleva ses chaussures et s’allongea sur le lit, sous le ciel de lit blanc, en fermant les yeux. Elle ne pouvait plus lutter. Le souvenir du plaisir de la nuit précédente lui provoqua une bouffée de chaleur. Elle enfonça son visage dans l’oreiller, essayant de se rappeler et de ne pas se rappeler, tout à la fois.

— Viens, murmura-t-elle.

En un instant, la substance douce mais inquiétante l’enveloppa, se rassembla, se densifia.

— Veux-tu que je prenne une forme ?

— Non, pas encore. Reste comme tu es, comme tu étais hier, avec tout ton pouvoir.

Elle le sentait déjà caresser la courbure de son pied et l’arrière de ses genoux. Des doigts délicats se glissèrent entre ses orteils et déchirèrent ses bas. Sa robe fut déboutonnée.

— Oui, viole-moi encore ! Fais-toi dur et fort et va tout doucement !

Soudain, elle fut retournée sur le dos, les mains invisibles lui arrachèrent sa robe et commencèrent à descendre le long de son ventre. Quelque chose ressemblant à des dents se mit à mordiller son sexe tandis que des ongles griffaient ses mollets.

— Oui ! cria-t-elle, les dents serrées. Fais-moi mal !

Le lien maléfique
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